Le Chromosome Baladeur: Prologue « Astrid »

                                            

Pitch :  Les hommes vivent un drame planétaire, toutes leurs données personnelles viennent d’être effacées avec la mort du support végétal sur lequel elles étaient enregistrées. Une grande partie de la population va se laisser mourir de désespoir, emportant dans la tombe son histoire. Paul va proposer à Astrid, sa grand-mère, bientôt centenaire, d’enregistrer sa mémoire pour ne pas perdre l’histoire de sa famille.

Sur la Terre le 21 mars 2042.

 Le matin, quand Astrid émergeait de son subconscient, les yeux encore fermés, elle tâtonnait pour saisir sa tablette. C’était devenu un réflexe. Cet outil abolissait sa solitude depuis que Gero l’avait quittée. Elle faisait défiler ses photos. Son cœur se dilatait à la vue de certaines, d’autres lui donnaient parfois envie de rire aux éclats. Une, en particulier était son rayon de soleil, sa bouffée d’oxygène, son ultime raison de vivre. Elle aimait tant la regarder ! Une cigarette nonchalamment suspendue à ses lèvres, le regard en coin, c’est la tête qu’il avait quand il la guettait à la sortie du lycée. Quand elle regardait ce jeune homme qui avait fait battre son cœur, elle pouvait mesurer aujourd’hui la promesse de toute une vie qu’elle avait pressentie, attirée par lui de façon instinctive.

Cette promesse il l’avait tenue au-delà de tout espoir, elle avait été comblée. Elle avait une conscience aiguë d’avoir vécu le « meilleur » et échappé au « pire ». Serments qu’ils s’étaient fait le jour de leur mariage en présence du petit être qui à l’insu de tous, se développait depuis deux mois en son sein. Ce jour n’avait pas été une fête comme elle avait su le faire plus tard pour ses filles. C’était l’époque la plus sombre de sa vie, elle était au fond d’un trou ne pouvant que remonter vers la lumière et c’est ce qu’ils avaient fait ensemble avec la certitude que tout irait mieux.

De son mariage, il restait quelques photos en noir et blanc, témoins d’un devenir plein de promesses. L’heure était à la survie. C’était le départ d’une vie à bâtir avec ce jeune homme qu’elle allait apprendre à connaître. Elle avait su dès le premier jour que c’était avec lui qu’elle construirait sa vie, même si elle avait pleuré de rage parce que c’était trop tôt mais aussi la conscience aiguë que c’était lui et personne d’autre.

Alors que le monde s’effondrait autour d’elle, elle choisissait de fonder un foyer comme un défi à cet exode qu’ils vivaient tous les deux à leur façon. En pointillé la concernant, pour ne pas être détruite car le naufrage du couple de ses parents l’avait cruellement ébranlée. Allait-elle être capable de réussir là où ils avaient échoué ? Elle se poserait longtemps la question : comment un couple, jusque-là montré en exemple, pouvait, du jour au lendemain, sombrer dans la tourmente.

Jamais, elle n’oublierait la sirène de l’ambulance qui avait sauvé sa mère. Elle ne voulait plus vivre parce qu’elle avait été trompée. Toutes ces épreuves, elles les avaient surmontées grâce à ce garçon qui était devenu le pilier de sa vie, le père de ses enfants, l’amant merveilleux qui l’avait révélée à elle-même. Aujourd’hui elle baignait dans cette certitude qui lui permettait de vivre sans lui. Voilà tout ce que cette photo faisait remonter à la surface et c’était le cœur débordant de reconnaissance qu’elle s’endormait remerciant le destin de lui avoir offert cet homme en partage.

Ce matin, elle n’arrive pas à accéder à ses albums, elle vérifie la connexion. Plusieurs fois, elle répète la manœuvre. Elle abandonne sa tablette et avec mille précautions, bascule ses deux jambes hors du lit, pose les pieds par terre, et se redresse. Son corps se déploie douloureusement mais elle sait que ça ne va pas durer. Elle marche vers la fenêtre ouverte et aspire une grande bouffée d’air.

Vieillir, perdre le contrôle de son corps, elle détestait ça ! Tous les jours, elle s’appliquait à bouger ses articulations. Avec le temps elle avait appris à accéder aux muscles les plus profonds, ceux qui étaient près des os et qui les empêcheraient de se rompre. Un jour, elle avait appris à respirer : elle était sauvée.

Solidement campée sur ses deux jambes, elle commence comme tous les matins son pranayama*. Son index et son majeur délicatement posés sur son front, elle bouche alternativement sa narine droite avec le pouce puis la gauche avec l’annulaire et le petit doigt. A l’inspire, elle suit l’air frais qui entre d’un côté et chemine jusqu’au bout de ses orteils. De l’autre côté, à l’expire, le flot tiède de l’air emporte ses douleurs. Après vingt minutes de ce rituel, son cerveau est suffisamment oxygéné pour la journée. Elle a presque oublié sa contrariété du matin.

Quand Gero avait tiré sa révérence, Astrid avait transformé sa maison en « résidence sénior » pour pouvoir y rester. Elle avait commencé par louer les sept chambres, toutes équipées d’une douche. Au fil du temps, ses amies étaient venues s’installer près d’elle, d’abord pour de courts séjours puis définitivement. Elle avait réussi à faire « Gouillette », la maison qu’avec ses amis, elle avait imaginé pour leurs vieux jours quand ils étaient jeunes. Le seul bémol, c’est qu’ils n’étaient plus tous là pour en profiter.

Elle rejoint le groupe dans la cuisine, les trouve toutes, en train de pianoter frénétiquement sur leurs tablettes. Ses amies s’exclament en chœur :

—Bonjour Astrid, on n’arrive plus à trouver nos photos. Qu’est-ce qu’il se passe ?

—Salut les filles ! J’ai découvert le problème en me réveillant ce matin. La connexion n’est pas en cause. J’ai prévenu « Speed » qui va essayer de nous dépanner.  Déjeunons en attendant.

Astrid avait laissé ce matin un message à Thierry qui avait monté, « Speed », une boîte de maintenance informatique.  Elle avait aussi envoyé un appel au secours dans sa messagerie familiale. Beaucoup de messages de réconfort était arrivés en réponse mais rien de concret.

Ses enfants et petits-enfants avaient bien d’autres préoccupations. Ils vivaient leurs vies, aux quatre coins du monde avec leurs familles respectives. Elle pouvait les localiser sur une mappemonde, aux endroits où ils se trouvaient, en temps réel, à l’aide d’une petite lumière. Sa carte était constellée d’icônes colorées, une pour chaque famille.

Paul, son petit-fils, lui avait répondu. Il avait peut-être une solution mais il était pour le moment aux États -Unis. Thierry disait que la panne était générale et qu’il la tiendrait au courant.

Très vite la catastrophe fit la une des journaux. Astrid avait affiché des extraits d ‘articles qu’elle avait épinglés sur la porte du frigo de la cuisine pour que ses amies dont certaines oubliaient tout d’un jour sur l’autre, puissent relire tous les matins ce qui était arrivé.   

Le cloud biologique est mort.L’histoire de l’humanité a été effacée.

………..Le cloud biologique est ce support vivant, une plante tentaculaire qui est devenu le plus important lieu de stockage des données de l’humanité. Chacune des cellules de son bois pouvait contenir l’équivalent de 100 disques dur de 10 pétaoctets *……

…….Les chercheurs avaient imité la nature qui savait depuis la nuit des temps garder en mémoire le passé de l’espèce humaine grâce à une molécule aussi compacte que durable : l’ADN Ils s’en étaient servis pour mémoriser les données et résoudre du même coup le problème d’énergie, d ‘espace et de sécurité liés à leur stockage. On ne pouvait pas rêver mieux. Cette invention avait fait la fortune d’une petite startup en 2032……..

…………….A l’époque, cette découverte avait fait le buzz. Toute la planète pouvait contempler la plante en vidéo dans le sanctuaire où elle avait été installée. Elle perdait ses feuilles à l’automne pour mieux renaître au printemps. Son écorce blanche, comme celle des eucalyptus du bush australien, la rendait aussi belle dépouillée qu’habillée. Sa robe était différente à chaque printemps, la haute couture la suivait dans ses choix. Elle avait fini par dicter la mode. Quand elle frisait ses feuilles, les coiffeurs se déchaînaient sur la chevelure des femmes en frisottis……….

………..Chacun à sa manière célébrait la nouvelle idole. Des autels en Asie, des rassemblements aux États-Unis, des sacrifices en Afrique. Le foot était passé au second plan. Sa nature végétale généreuse fut plébiscitée par l’ensemble de l’humanité qui lui confia ses données personnelles Son inviolabilité le plaçait au top des supports, une équipe spécifique de biologistes était en charge de ce nouveau trésor, secondé par l’intelligence artificielle……….

…………Ce printemps, le cloud biologique ne s’est pas paré de son splendide feuillage tant attendu par le monde entier.  C ‘est un jeune biologiste qui a découvert le responsable de sa mort. Un virus sorti du pergélisol *qui en fondant avait libéré d’anciens microorganismes sortant comme des diables de leur boîte de Pandore pour semer la mort………

……….Jamais l’homme n’avait envisagé une telle menace bactériologique. Les croyants y voient une punition divine. La Terre fait payer à l’homme sa négligence criminelle en effaçant son histoire. Les centenaires se laissent mourir de désespoir, amputés des précieux souvenirs qu’ils avaient confié à un « nuage »………..

Trois semaines plus tard :

Cela faisait longtemps qu’Astrid n’avait plus son « shoot » du matin avec sa photo préférée. Elle avait le sentiment que tous ceux disparus ,qu’elle avait aimés, l’avaient quittée une deuxième fois. Il lui restait la musique qu’elle écoutait en boucle: « Chiquidan » d’Etienne Perruchon, le concerto de Chostakovitch, le quintette de Schubert ou encore Roméo et Juliette de Prokofiev pour éviter de sombrer dans la dépression, comme certaines de ses amies.

Elle se rappelait le jour où elle avait débarrassé son grenier des cartons dans lesquels, des photos et des piles de lettres s’étaient entassés dans l’attente d’être triés. Tous ces témoignages avaient été scannés et classés pour être accessibles à tout moment. Pour libérer de la place, elle avait emporté à la déchetterie sans état d’âme, une remorque entière de ces précieux documents. Elle regrettait amèrement d’avoir misé sur le tout numérique.

Paul allait arriver. C’était le dernier de ses petits-enfants. Il s’était spécialisé dans l’architecture spatiale et travaillait en Californie chez Space Z. Elle avait suivi avec passion cette colonisation de l’espace sur Mars et n’avait manqué aucun des départs, largement médiatisés, tous les 26 mois* vers la planète « rouge ». Leon Smuk avait réussi une fois de plus, là où tout le monde le donnait perdant.

Il l’avait appelée longuement un après-midi. Son meilleur ami, Jonathan, voulait tester un prototype pour « enregistrer » la mémoire humaine. Il proposait de la prendre comme cobaye. Elle avait accepté sans trop savoir de quoi il retournait. Un peu de piment dans son quotidien ne lui ferait pas de mal. Elle avait lu dans « Science et Vie » que la mémoire pouvait être enregistrée mais n’avait jamais imaginé qu’elle puisse en profiter.

Ils étaient venus la chercher un dimanche matin et l’avaient fait monter dans une rutilante Tesla noire. Pendant que Paul conduisait, Jonathan s’était installé à l’arrière, à ses côtés. Alors qu’elle admirait à l’extérieur la verdure qui explosait, il la briefait sur la façon dont il allait s’y prendre pour enregistrer ses souvenirs.

—Mais ce sont mes photos, Jonathan, que je veux retrouver.

Jonathan se penche vers elle

—  Vos photos sont imprimées dans votre mémoire, vous les voyez quand vous fermez les yeux. On va aller les chercher.

Astrid tourne la tête vers lui relaissant le paysage qui défilait.

—Et comment vas-tu t’y prendre pour récupérer tout ce que j’ai dans la tête ?

Un sourire au coin des lèvres Jonathan capte le regard de Paul dans le rétroviseur.

—C’est une opération qui se pratique avec succès depuis déjà quelques années. La nouveauté, c’est la miniaturisation du support. Si ça marche je vais faire un tabac. Il faut que ça reste entre nous pour le moment. Même vos copines ne doivent rien savoir.

Astrid s ‘exclame en riant.

— T’inquiète Jonathan, je sais garder un secret ! J’en ai quelques-uns d’ailleurs ! Mais au fait, tu vas tout savoir sur moi ?

—Soyez rassurée Astrid, c’est un robot qui va faire le travail. Vous seule verrez votre vie se dérouler et vous pourrez effacer vos secrets s’il y en a qui sont inavouables.

Elle se tourne vers lui  avec un air entendu.

—A mon âge il y a prescription !

Jonathan et Paul partent dans un grand éclat de rire. Astrid allait bientôt fêter ses 100 ans.

Paul  qui a capté son regard dans le rétroviseur lui annonce:

—J’ai un ami qui nous attend à l’hôpital de Vannes dans le service de radiologie. Il est de garde ce week-end et va pouvoir mettre l’IRM de son service à notre disposition. Il vient d’en installer le dernier modèle.

Astrid fait la grimace.

—J’ai eu du mal à supporter le bruit, la dernière fois que j’en ai faite une.

Jonathan reprend :

—Soyez sans crainte, Astrid, le matériel a beaucoup évolué. Ce sera dans le plus grand silence que vous allez plonger dans vos souvenirs et m’indiquer l’endroit où les récupérer. Nous communiquerons par l’intermédiaire d’un casque, je vous guiderai. Il suffira d’écouter ma voix. Paul m’a raconté comment vous l’avez initié à la méditation, ce sera un peu pareil.

Elle penche la tête sur le coté.

—Quand est ce que je pourrai voir ce que tu as copié ?

—Pas tout de suite, un algorithme doit classer de façon chronologique vos souvenirs pour que vous puissiez les retrouver facilement. Je dois aussi synchroniser l’accès aux données avec la télécommande que Paul vous rapportera.

Astrid se laissa aller, elle s’assoupissait facilement en voiture. Quand elle se réveilla, ils étaient arrivés à destination.

Heureusement, Paul et Jonathan avaient prévu un fauteuil roulant, elle n’aurait jamais pu les suivre. Ils l’emportaient à toute allure à travers les couloirs interminables de ce service hospitalier. A une intersection, un jeune homme les attendait, c’était l’ami de Paul.

On l’installa avec mille précautions sur une table recouverte d’un drap blanc. La table recula jusqu’à ce qu’elle ait la tête puis le haut du corps dans un immense cylindre. Jusque-là l’expérience ressemblait beaucoup à ce qu’elle connaissait déjà. L’espace d’un instant, elle se sentit seule , mais dès qu’elle perçut le timbre grave de la voix de Jonathan, le temps s’arrêta pour elle. Elle se laissa guider et le suivit là où il voulait qu’elle l’emmène.

Elle repensa à ce qu’elle disait à Gero quand il était stressé :

— »Laisse flotter les rubans », et tout ira bien !

C ‘était le titre d’un livre qu’avait écrit Victor Lanoux, un acteur qu’elle avait beaucoup aimé.

Quand elle reprit conscience de son environnement, elle eut l’impression de revenir de très loin. Se sentant bien, comme au sortir d’une réunion familiale quand ses cellules vibraient en harmonie avec celles de son entourage. Elle était généralement très excitée après ces moments, comme si elle avait bu du café. La nuit qui suivit, elle ne trouva pas le sommeil. Elle se repassa le film de la journée, en essayant de fixer chaque moment. Les garçons étaient repartis emportant tout ce qu’ils avaient récolté dans sa tête. Jonathan l’avait remerciée à la fin de l’examen, ses yeux pétillaient.

—Vous allez être épatée Astrid, tout a très bien fonctionné. Je crois que le résultat sera au-delà de mes espérances.

Paul était revenu un mois plus tard avec deux magnifiques pierres. Un rubis monté sur platine et un saphir sur or. Astrid admira le travail du joaillier, les pierres étaient sculptées représentant deux petits cerveaux. Une minuscule perle brillait comme une pépite, au cœur de chacune d’elle.

Paul lui dit :

—Toute ton histoire est là, cachée dans cette petite perle en or qui est au centre de la pierre.

Elle suivait avec passion les progrès des neurosciences mais jamais elle n’aurait pensé que toute sa vie pourrait tenir dans une tête d’épingle !

Elle tourna la tête vers lui pour lui demander :

—Pourquoi deux bagues ?

—J’ai demandé à Jonathan d’en faire une pour toi et une pour moi.

— La rouge est la mienne alors !

Paul riait.

—Et la bleue pour moi.

Il passa la bague à l’annulaire de sa grand-mère.

— Regarde, le métal s ‘adapte à la taille de ton doigt, c’est la dernière trouvaille d’un joaillier qui fait fureur à San-José près de San-Francisco. Je vais partir avec l’autre, très loin et très longtemps. Maintenant il faut que je t’explique comment ça marche.

Il avait à la main une télécommande un peu particulière.

—Avant de me faire faire des efforts avec ton appareil, dis-moi plutôt ce qui te pousse à partir si loin et si longtemps.

Paul vint s’assoir à côté d’elle, pris ses mains dans les siennes et après un silence, se décida à parler :

—Et bien voilà, je suis follement amoureux d’une astrophysicienne.  Marie fait partie de la prochaine équipe qui part sur Mars. Il faut que je gagne un concours si je ne veux pas la perdre. Le plus beau projet d’habitation sur cette planète remportera le prix : un voyage sur Mars.

Le cœur d’Astrid battait la chamade, son dernier petit fils était amoureux. Tous, ils connaissaient ce sentiment unique qui vous porte et qui vous rend vivant. Ça avait été le moteur de sa vie. Ses enfants et ses petits-enfants, elle le savait, étaient portés par cette énergie miraculeuse. Elle vit dans son regard qu’il vivait ce partage. Elle serra ses deux mains et lui dit :

—Si tu es amoureux tu vas le gagner ce concours ! Montre-moi une photo de ton amoureuse.

— J’ai perdu toutes mes photos moi aussi avec la mort du cloud végétal, il ne m’en reste qu’une sur mon écran de téléphone.

Astrid admira le visage qui remplissait l’écran. Brune, les yeux verts, un sourire éclatant illuminait son visage. Elle imagina l’enfant que ces deux-là pourraient engendrer et elle sentit son cœur se dilater. Paul l’observait, c’était important pour lui de voir sa réaction. Elle quitta l’image et tourna vers lui un visage rayonnant. C’était gagné ! Son instinct était infaillible même avec une photo. Ils étaient tous passés par là avant de vivre à deux et il était le dernier de cette génération. Marie avait croisé sa route, il avait tout de suite senti que c’était avec elle qu’il voulait construire sa vie. Il savait à quoi il s’engageait, le chemin ne serait pas toujours facile mais il y arriverait. C’était un challenge dans sa famille.

Astrid reposa sa tête sur son oreiller, une grande lassitude soudain l’envahit. Toute sa vie était dans cette bague. Un drôle de sentiment la remplit comme si elle était arrivée à bon port. Qu’est-ce que la vie pouvait lui apporter de plus aujourd’hui. Elle pensa à tous ceux qui l’attendaient dans l’autre monde.

Et demanda :

—Et le violon de Nino tu penses l’emporter ?

—Bien sûr, sans hésitation aucune.

Elle fit un réel effort pour écouter les conseils de Paul quand il lui montra comment elle devait se servir de la télécommande pour avoir les images sur l’écran de sa télévision. Elle lui dit doucement :

—C’est bien que tu emportes cette bague. Parle-moi un peu de ton concours.

—Grâce à Marie, j’ai découvert une falaise gigantesque percée de grottes qui surplombe un lac de glace.Le site idéal pour mon projet de village troglodyte.  Le soleil sera notre source principale d ‘énergie. L’eau du lac sera liquéfiée. Je n’aurai qu’à creuser la montagne pour créer les espaces de vie. Nous avons aujourd’hui sur Mars des robots tout-terrain multitâches qui exécutent des programmes d’excavation. C’est comme pour le tricot, tu te rappelles ? Tu dessinais un modèle et la machine l’exécutait. Aujourd’hui, nos machines réalisent avec la force de leurs bras des tâches titanesques, en un temps record. La roche à laquelle je vais m’attaquer est très dure et c’est un atout. Ce que je vais construire sera indestructible.

Paul était intarissable sur son projet. Astrid laissait les mots entrer dans son cerveau. Elle imaginait le village qu’il allait créer à des millions de kilomètres de l’endroit où elle se trouvait. Comment aller lui rendre visite sans quitter son enveloppe terrestre ? Paul regardait sa grand-mère s’assoupir. Il avait conscience de l’avoir secouée avec toutes ces nouvelles. Sur la pointe des pieds, il quitta la chambre après avoir déposé un baiser sur son front. Demain, il reviendrait lui faire ses adieux. Et c’est le cœur léger qu’il s’occupa de programmer son retour aux États Unis.Il devait avant de partir passer voir ses parents.

Six mois plus tard…

Un matin Astrid ne se réveilla pas. Elle avait fini de visionner le contenu de la bague. Tous les soirs, avant de s’endormir, elle regardait un épisode de sa vie. Il y avait des détails qu’elle avait complètement oubliés et qui avaient fait remonter beaucoup d’émotions. Elle n’avait rien effacé. Elle partagerait sa vie entière avec sa famille comme une forme d’éternité.

Dans un coin de la Californie des hommes attendaient la date programmée du départ sur Mars. Paul était des leurs ; il revenait de France le cœur gros. Il avait fait un aller-retour pour accompagner Astrid dans sa dernière demeure. Elle lui avait laissé une longue lettre pleine de recommandations et de remerciements. Elle avait légué la bague rouge à la première de ses petites filles. L’autre, la bleue comme le ciel l’air et l’eau qu’il allait laisser derrière lui, pendait à son cou au bout d’une chaîne en or. Il avait un peu le sentiment d’emmener sa grande mère avec lui dans cette aventure et ça le consolait.

(Suite le 11 aout)

*« Pranayama » : Technique de respiration du yoga.

*« Tous les 26 mois » : la période orbitale de Mars est de 687 jours, presque deux ans de notre terre. Les voyages sur mars sont donc programmés tous les deux ans au moment où la planète est le plus près de la terre. Cette fenêtre s’ouvre tous les 26 mois.

3 réflexions sur “Le Chromosome Baladeur: Prologue « Astrid »”

  1. Beaucoup d émotion pour moi qui connaissait la plupart des éléments utilisés dans le blog
    Beaucoup d admiration aussi pour la façon dont tout cela a été remodelé et « mixé » dans une « story »très imaginative mais où perce le travail et la rigueur
    Continue sur ta lancée my love

  2. J’ai adoré cet épisode! Le flashback met la communauté sur Mars en perspective, elle me l’a rendu plus palpable.

    Dure dure de ne pas te reconnaitre dans le personnage d’Astrid, et de voir un grand Louis dans les traits de Paul (cette tete blonde). J’imagine redécouvrir ma mémoire à 26 ans épisode par épisode en ayant oublié des détails alors après 100 ans! Comme on dirait en anglais it’s overwhelming.

    Gros bisous, je continue…

    Camille

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