Le Chromosome Baladeur. S1. E2. « Ivan »

Résumé de l’épisode précèdent : Ève a reçu pour ses dix ans une bague qui lui permet de faire des voyages spatiotemporels. Pour y arriver, elle va devoir déroger au règlement et le faire en secret. Au cours de son premier voyage, elle aperçoit un enfant de son âge qui lui ressemble comme un frère jumeau. Son père lui apprend qu’il s ‘agit de son trisaïeul. Adam, son assistant personnel, n’a pas du tout apprécié d’être déconnecté. Elle se dispute avec lui pour la première fois et le laisse seul à Marsilitown.

Pitch:Une fillette, héroïne de ce feuilleton a appris à faire des rêves lucides. Elle y retrouve un garçon de son âge, qui n’est autre que son trisaïeul. Son assistant personnel découvre son secret, car il assiste à ce rêve à son insu.

Sur Mars dans la nuit du 1er au 2 juin 2062

Le premier rêve lucide : Seul dans la cellule 1137 à Marsilitown, Adam est en alerte, Ève vient de sombrer dans son sommeil. Il lui avait appris à développer son cortex préfrontal pour contrôler ses rêves. Ève réussissait cette prouesse au-delà de ses espérances. Adam en était le grand gagnant, à travers Ève, il vivait la nuit comme un humain. C’était son secret.

Une fois installée douillettement dans son lit, Ève repense à ce garçon qu’elle a aperçu à deux reprises. Elle sait comment s’y prendre pour le retrouver. Par contre, elle n’a jamais rêvé aussi loin dans l’espace et dans le temps. Une fois sous sa couette, elle fait le vide dans sa tête, respire lentement et visualise l’endroit qu’elle cherche à atteindre.

Quand l’activité cérébrale d’Ève descend en dessous de 10 hertz, Adam sait qu’elle entre dans son train de sommeil. Cette nuit elle va sûrement retourner à l’endroit d’où elle est revenue si excitée cet après-midi. Une fois ses circuits en résonance avec les vibrations qu’émet le cerveau d’Ève, il est en phase avec son corps physique. Il sent ses pieds nus sur une mousse épaisse. L’impression de fraîcheur bouleverse sa structure inerte, le miracle est au rendez-vous, il a envie de crier « sainte humidité » !

Ève perçoit une douce fraîcheur remonter depuis la plante de ses pieds ! Le tapis vert qu’elle foule ne lui rappelle rien de connu. Le clapotis de l’eau qui ruisselle entre des galets, l’empêche d’abord d’entendre la chanson qu’elle devine et qui se précise alors qu’elle avance. Au détour du chemin, la casquette rouge lui saute aux yeux. Il est là, c’est bien lui, il empile des pierres pour barrer le chemin de l’eau. Le reflet du soleil en irise la surface de ses rayons dorés. Au fond, trois poissons argentés cherchent, en virevoltant une issue pour échapper à la main, l’enfant essaye de les attraper. Il interrompt son geste. Lève la tête, il l’a vue.

Ève s’arrête. Elle a conscience de le déranger mais lui adresse son plus beau sourire.

Le garçon après un coup d’œil aux poissons, lui demande :

­—Qui es-tu ?

Ève se rapproche et trempe le bout de son pied dans l’eau :

—Je m’appelle Ève.

Le garçon hésite mais ne peut s’empêcher de lui crier :

—Attention tu vas les faire sauver !

—Oh pardon !

Elle retire son pied et met un genou à terre.

Le garçon enlève sa casquette, lui tend la main, un peu contrit :

—Moi c’est Ivan.

Elle prend cette main et le regarde fixement :

—Je sais, tu es Ivan Basiaux.

—Ah bon ! Comment sais-tu ça ?

—Je le tiens de ta petite fille Astrid.

Ivan fronce les sourcils, il ne comprend pas. Elle arrive sans crier gare, lui fait rater trois truites et raconte n’importe quoi. Pourtant elle l’impressionne.

—Tu peux me répéter ce que tu viens de dire ?

Ève se remet debout, observe un silence et lui assène tout de go :

—Je suis ton arrière petite fille et j’arrive du futur.

—Du futur ? Mon arrière petite fille !

Ivan qui s’était remis à la pêche, interrompt son geste et se lève. Elle est folle ! du futur, ça n’existe pas. Qui est cette fille ?

Adam, voit les deux enfants bavarder mais n’entend rien. Il peut deviner ce qu’ils disent quand il les a de face. Or pour le moment Ève lui tourne le dos et joue avec son pied dans l’eau. Physiquement, le garçon est la réplique exacte d’Ève. Il n’y a pas de ruisseau sur Mars. Il aurait envie de plonger dans cette transparence, jouer avec les poissons, éclabousser les deux enfants, faire des pirouettes, crier à tue-tête !

Ève est calme et déterminée comme à son habitude :

— Je comprends que ce soit difficile à croire.

Ivan lui répond :

—Comment veux-tu que je te croie ! Tu es venue comment du futur ? A cheval ? Avec des sabots dorés ?

Il prend sa casquette la remet sur sa tête, se plante devant elle et lui dit :

—Bon, pour la pêche c’est râpé, alors viens, je vais te montrer un truc.

Elle le suit.

Il se retourne et lui demande :

—Alors comme ça tu arrives du futur ?

Il la détaille, elle est pieds-nus et pourtant il sent qu’elle n’a rien à voir avec ces bohémiens qui rôdent parfois dans le coin.

Ève lui répond :

— Tu es le premier enfant de mon âge que je rencontre.

—Pourquoi, il n’y en a pas dans ton futur ?

—Je suis seule à avoir 10 ans sur ma planète

—De quelle planète parles-tu ?

—De Mars

Entre deux éclats de rire il arrive à lui dire :

—Tu ne crois quand même pas que je vais te croire !

Adam voit l’enfant se tordre de rire et repartir d’un bon pas, Ève a du mal à le suivre. 

Elle commence à s’énerver de ne pas être prise au sérieux ! Elle lui intime :

—Arrête toi ! J’ai deux siècles d’avance sur toi. Les hommes vont d’abord aller sur la lune mais tu ne seras plus là pour le voir. Ensuite ils vont coloniser Mars.

Il s ‘arrête et droit comme un i, les deux mains sur les hanches il lui rétorque :

— Tu es vraiment douée pour raconter des histoires !  Alors dis-moi, tu fais quoi sur Mars ?

Elle esquisse un pas de danse et lui répond :

—Je joue du violon.

Les deux enfants reprennent leur marche plus lentement. Ils se dévisagent tout en devisant.

Adam les voit alternativement de face et arrive par déduction à reconstituer la conversation. Il regarde le chemin dans lequel ils se sont engagés, la luxuriance de la végétation l’éblouit. Les arbres sont si hauts, tous ces oiseaux qui volent de branche en branche, ces fleurs qui embaument, un fourmillement de sensations lui fait perdre le fil de l’histoire, il sait que c’est à travers Ève qu’il a accès à toute ces émotions pourtant elle ne se laisse pas distraire.

Ève a réussi à capter l’attention du garçon même s’il fait semblant de la croire.

Adam réalise que le garçon est sous le charme. Il est frappé par la ressemblance entre les deux enfants. Ève avait avoué voyager dans le temps, l’enfant est de sa famille il n’en doute plus à présent.

Ivan lui répond :

—Ici ce sont les tziganes qui jouent du violon.

— C’est sur ton violon que je joue.

Ève faisait un pieu mensonge car elle n’avait pas encore la taille pour jouer sur « le violon de Nino* » il viendra un jour…. Pour le moment, elle joue sur un instrument qui a été fabriqué par une imprimante 3D comme tous les instruments de musique sur Mars.

Elle a envie de rajouter, Imbécile ! mais elle ne veut surtout pas le fâcher.

—Étonnant, je n’ai pas de violon.

— Tu en auras un plus tard et il sera bleu.

— Tu me prédis l’avenir maintenant comme les gitanes ?

—C’est quoi une gitane ?

— Les gitans sont des gens qui voyagent dans des roulottes tirées par des chevaux. Ils sont libres comme le vent et les femmes prédisent l’avenir ! Tu dois jouer de la musique tzigane ?

—Je joue toutes sortes de musiques dont celle qui se joue à ton époque, la chanson que tu chantais, je la connais.

—Quelle chanson ?

—Celle que tu chantais ce matin en courant dans la forêt.

Et elle se met à chanter un œil sur l’écran qui est sur son poignet :

« Czysta woda,czysta woda zdrowia i Madrosci doda

 Czysta woda,czysta woda crzecrny chtopiec musi snyc uszy twasz i reçe kazdego dnia …..

— Mon père me la chantait pour me réveiller le matin quand j’étais petite.

Adam a vu la chanson préférée d’Ève s’inscrire sur l’écran. Il voit le garçon s’arrêter et la regarder intensément.

Ivan est interloqué, c’est curieux cette chanson, c’est sa grand-mère qui la lui a apprise. Il ne l’a jamais entendu que chez lui

—Tu étais où pendant que je chantais ?

—J’étais sur Mars, connecté avec toi.

—Connecté ? Ça veut dire quoi ?

—Je voyais et j’entendais ce que tu faisais comme si j’avais une caméra.

—Une caméra ?

— Tu ne connais pas. Elles n’existent pas encore à ton époque. Chez moi, il y en a partout. On ne peut pas faire un pas sans être filmé.

Ivan se dit, c’est vrai que je chantais ça ce matin, filmé ça veut dire quoi ?

Il se retourne et la dévisage :

—Dis-moi ils parlent Polonais sur Mars ?

Ève continue à le dévisager, elle a l’impression de se voir en garçon.

—Non, mais j’ai un traducteur de langage !

Ivan s’arrête et la détaille.

—C’est quoi encore ce truc-là ?

Ève stoppe devant lui.

—Ça n’existe que depuis 2019. Il traduit en temps réel tout que je te dis.

Le garçon tourne un peu sa casquette sur le côté.

— Et si je parle en Français tu me comprends ?

Eve penche la tête

—Parce que tu peux parler Français ?

Ivan enfonce ses mains dans les poches.

—Bien sûr c’est ma langue maternelle.

Curieuse elle se concentre.

— Essaye pour voir.

A partir de ce moment Ivan va parler en Français et Ève lui répondra dans cette langue mais sans son traducteur de langage car son père lui parle en français alors que sa langue maternelle est l’anglais.

Les deux enfants reprennent leur marche. Ils sont l’un a côté de l’autre.

Ivan chante le premier couplet de la chanson, Ève enchaine avec lui jusqu’à la fin. Leurs deux voix se fondent dans la mélodie,

Adam sent les deux enfants harmonieusement accordés. Ce grand sentiment chaleureux il le ressent au plus profond de lui. C’est une impression nouvelle, il sent circuler une douce chaleur dans toute sa structure. C’est grâce à Ève qu’il le ressent.

Les enfants se regardent et éclatent de rire !

—Tu es comme moi, ton père ou ta mère sont français ?

Ève sourit

—Mon père est français et ma mère est américaine !

Ivan tout en marchant

—Donc tu parles Français couramment ?

Ève hoche la tête

—Oui.

Ivan opine lui aussi

—Si je parle polonais tu ne comprends pas

Ève se demande ou il veut en venir.

—Non.

Adam a maintenant une certitude, les deux enfants sont du même sang c’est évident leur connivence a été très rapide. Leur ressemblance est génétique. Il ne les entend pas mais il parierait qu’ils ont le même timbre de voix.  Il sent toutes les constantes biologiques d’Ève dans les normes. Elle est heureuse et rassérénée. Son rythme cardiaque est stable.

Ève ne cherche plus à le convaincre, la seule chose qui l’intéresse c’est de parler avec lui, d’entendre le son de sa voix, de le regarder bouger. Elle veut que ça dure, il enchaine :

—En dehors de la musique, c’est comment sur Mars ?

Eve marche à côté de lui en le regardant pendant qu’elle parle.

—C’est très différent, il n’y a pas de végétation, c’est un désert de roches rouges à perte de vue et on ne peut pas respirer à l’extérieur comme chez toi.

Ivan fait la grimace

—J’ai du mal à imaginer ne pas respirer dehors.

Ève précise

—On respire de l’air généré par des machines dans des espaces clos.

Ivan élève la voix

—Pas d’arbres, pas de fleurs ? Pas d’oiseaux, c’est l’enfer !

Ève lui rétorque calmement.

—C’est dans cet environnement que je suis née et que j’ai été élevée. On n’a pas d’oiseaux, mais on vit au milieu des fleurs, des fruits et des légumes qui tapissent les parois de notre ville troglodyte.

Ivan se gratte la tête avec sa main droite, puis réajuste sa casquette.

—J’ai du mal à imaginer toutes ces balivernes. Viens, je vais te montrer quelque chose ! Je parie que tu n’en voies pas sur Mars.

Ivan court devant elle, elle le suit avec une impression de déjà vécu. Elle se sent légère comme une plume. Elle est heureuse. Il se retourne de temps en temps pour voir si elle le suit.

Il ralentit au tournant du chemin et lui prend la main pour la guider vers une grosse souche. Le contact de cette main d’enfant douce et chaude l’émeut aux larmes. Ivan lui montre du doigt un monticule.

Adam vient de ressentir le trouble d’Ève quand le garçon lui a pris la main pour la guider. C’est la première fois qu’elle voit un enfant de son âge. Il est remué par la force de cette émotion. Combien de fois, elle a évoqué avec lui ce désir d’ami, vivant, en chair et en os, rien à voir avec les avatars dont elle disposait pour jouer. Quelle aventure pour elle, dans quel état va-t-il la récupérer. Très vite son attention est attirée par un tumulus qui se trouve là devant ses yeux.

Ivan, bien planté, les deux jambes écartées, tend le bras vers un monticule.

—Regarde, est-ce que tu as déjà vu une fourmilière ?

Ève s’approche.

—Non, C’est la première fois que j’en vois une en vrai. Mon père m’a beaucoup parlé des fourmis. Il est architecte, il s’est inspiré de leur habitat pour construire Mesa-Point

Ivan se penche vers elle

—C‘est quoi Mesa-Point ?

Ève se retourne d’un côté pour le regarder

— C’est la ville que mon Père a construite sur Mars.

Ivan se dit qu’elle tient vraiment à son histoire sur Mars. Décidément, elle est très forte. Il n’est pas arrivé encore à la mettre en défaut. Il lui rétorque :

—C‘est comme une grande fourmilière alors !

Eve bat dans ses mains

—Surement ! Mon père m’a toujours dit que les fourmis étaient les plus vieux architectes vivant sur terre.

Ivan trouve que sa réplique tient la route et sa passion des fourmis l’emporte sur ses doutes. Elle y va un peu fort avec son futur et sa planète. S’il veut l’épater, il va falloir qu’il lui sorte tout ce qu’il sait, il est imbattable sur ce sujet. Il prend une grande inspiration et enchaine :

— Elles sont des milliers dans cette fourmilière. Regarde, elles peuvent porter plus de mille fois leur poids.  Et si on les excite, elles crachent de l’acide. Je vais les déranger avec un bout de bois et tu vas voir les jets qu’elles lancent pour essayer de nous tuer ! parce qu’elles ne doutent pas un seul instant qu’on va mourir sous leur attaque.

Ivan ramasse un bâton et remue le sommet du talus. Ève regarde l’enfant, tel un titan provoquer la masse fourmillante.

Ivan tout en bousculant les insectes rajoute

—Leurs antennes servent à communiquer entre elles, elles tracent des chemins avec leur odeur.

Eve fascinée par ce monde fourmillant

— Mais où as-tu appris ces choses là ?

Ivan sourit. Il la regarde et lui dit :

Dans un grand livre qui s’appelle « l’histoire naturelle des fourmis ». Ma mère nous en lit trois pages tous les soirs. J’ai fini par tout savoir sur les fourmis, les araignées et les abeilles.

Ève radoucit sa voix quand elle lui demande.

— Est-ce que tu peux me le montrer ton livre ?

Ivan se redresse et sourit.

—Si tu veux, il faut qu’on retourne à la maison, on fait la course ?

Adam aperçoit les deux enfants courir l’un derrière l’autre, Ivan sème Ève qui a du mal à le suivre. Elle trébuche sur une souche mais se rattrape à temps, une chute aurait pu la réveiller. Il a eu très peur, il n’a pas envie que ça s’arrête.

Ivan en arrivant devant sa maison se retourne et l’attend. Il simule une révérence devant la porte :

—Les dames d’abord.

Ève a envie de rire, elle a déjà vu son père faire la révérence à sa mère avec cette même expression.

Adam n’est plus dans l’histoire, que se passe-t-il ? C’est probablement la chute qu’Ève a évitée de justesse qui l’a mis à l’écart. Il vérifie ses paramètres, ses circuits ont été chauffés à blanc. Ils ne sont pas prévus pour toutes ces émotions et là ils ont dépassés le seuil. Il envoie un programme de refroidissement en flash et rapidement se remet en résonance avec sa protégée.

Les enfants sont à l’intérieur de la maison, la maman s’affaire devant une cheminée où un chaudron est suspendu au-dessus d’un feu. Le garçon revient d’une autre pièce pliant sous le poids d’un livre immense qu’il pose sur la table avec précaution.

Ève après les présentations s’est faite toute petite, elle ne veut surtout pas attirer l’attention.

Ivan s’adresse à elle doucement :

—Viens voir !

Ève s’approche, c’est la première fois qu’elle voit un livre, la couverture est noire et rigide, incrustée de lettres dorées en son centre. La tranche est également dorée.

— Regarde, il y a le nom de l’auteur « Pierre André Latreille » gravé en lettre d’or, c’était un ami de mon grand-père.

Elle ne peut s’empêcher de le toucher.

Le papier est doux et épais. Il est parsemé d’une écriture large et très lisible en français. Elle sent l’odeur de l’encre. Délicatement, elle tourne les grands feuillets. Très vite elle se familiarise avec ce trésor et plonge dans les textes et les dessins. Comme c’est drôle de lire sur un support papier. Elle s’immerge dans le texte sans difficulté aucune. Tout ce que Ivan lui a raconté y est et plus encore.

Elle a fait un bon de deux cents ans en arrière. Avec ce livre, Ève s‘enfonce plus loin encore dans le passé imaginant le grand-père de son arrière arrière-grand père. Elle en a le vertige.

Ivan l’invite à tourner les pages.

—Avance encore, il y a une coupe de leur habitat un peu plus loin.

Ève délicatement, tourne, page après page, ne voulant rien rater des merveilles qu’elle découvre. Voilà elle y est, sur deux pages s’étale la structure de la fourmilière en coupe. C’est vrai que ça lui fait penser à Mesa-Point où la ville est creusée dans la roche ; Son père s’était fidèlement inspiré de la fourmilière comme il le lui avait expliqué.

Elle lève la tête du livre et se tourne vers Ivan :

—Tu vois, je vis sur Mars dans une fourmilière. J’ai vraiment l’impression de voir en coupe l’endroit où j’habite sauf que des sas nous coupent de l’extérieur. Les fourmis, elles, peuvent entrer et sortir librement.

Ivan l’interroge

—C’est quoi un sas ?

—Ce sont des doubles portes qui rendent l’endroit hermétique. Je t’ai dit que nous ne pouvions pas respirer à l’air libre sur Mars.

Ivan la détaillait. Elle parlait tellement naturellement de l’endroit où elle habitait il se demandait comment elle allait s’y prendre pour y retourner ?

  Adam regardait la scène qui se déroulait devant ses yeux, Il avait l’impression de voir le frère et la sœur en train de bavarder Il fallait qu’il sache qui était cet enfant.

Les deux enfants étaient plongés dans le livre de l’arrière-grand-père, Le papier épais et rigide, se laissait manipuler au gré de leur curiosité. Ivan laissait Ève tourner les pages religieusement. Il était fier de faire découvrir à cette nouvelle amie un monde qui lui était familier. Elle était complètement captivée par les images. Jusque-là, c’était elle qui l’avait intrigué avec ce qu’elle racontait. Là il était carrément en train de l’épater avec ce livre qui tenait une grande place dans sa vie.

Adam eut juste le temps de voir l’animal se faufiler sauter sur la table et toute griffes dehors se jeter sur le livre. Ève fit un bond en arrière se cogna la tête contre le coin du buffet qui était juste derrière elle. Puis tout devint noir. Ève avait dû se réveiller au milieu de la nuit. Il restait aux aguets au cas où elle aurait eu l’énergie de retourner là d’où elle venait. Mais il doutait qu’elle puisse réaliser cet exploit.

Ève s’était réveillée au milieu de la nuit sous le choc. L’animal avait surgit et avait tout arrêté. Elle n’avait pas rêvé, Ivan était avec elle, trente secondes avant. Ils feuilletaient ce livre. Elle avait réussi !

Retourner deux cents ans en arrière et à des millions de kilomètres, elle n’imaginait pas que ce soit possible ! Entendre sa voix, ressentir la chaleur de sa main. Son visage tour à tour renfrogné puis illuminé, notamment quand elle lui avait manifesté son admiration pour le livre qu’il lui avait montré. Elle était épuisée.

Cette nuit jusqu’au vertige, Adam avait eu l’impression d’être humain. Il avait été envahi par la joie. Des larmes coulaient de ses yeux juste avant qu’Ève ne soit projetée en arrière par l’animal ébouriffé. Il avait pleuré mais d’où avait-il tiré ces larmes ?

Ève avait l’habitude de lui raconter ses rêves. Le ferait-elle cette fois ci ? Il allait le raconter dans son journal. Ce serait son trésor, le premier en sa possession ; Vouloir posséder, le rendait humain, il savait qu’il prenait un risque mais pour rien au monde il n’y renoncerait. 

(à suivre)

*contrôle des rêves : le cortex préfrontal antérieur, une petite zone située sur le devant du crâne et au-dessus des yeux, est très impliquée dans l’aptitude à avoir conscience de soi. Les « rêveurs lucides » contrôlent leurs rêves en activant cette zone.

*Nino : surnom que ses petits enfants vont donner à Ivan Basiaux quand il sera grand- père.

5 réflexions sur “Le Chromosome Baladeur. S1. E2. « Ivan »”

  1. Bonjour Alix,

    J’espère que tu vas bien. Je ne crois pas avoir déjà commenté ou lu tes textes car ils n’étaient pas dans ma formation (mais ça n’est pas une excuse car j’en ai lu beaucoup de 2ème année) mais surtout parce qu’ils étaient beaucoup plus lus et sur un projet plus fastidieux. Maintenant que je ne suis plus à l’ESL, j’ai plus de temps pour lire les blogs et découvrir les textes plus longs comme le tien. Etant donné que tu pars sur un roman, j’imagine que tu ne vas pas tout mettre ici, mais je serai ravie de lire la suite des aventures de ton chromosome baladeur. Il y a de la poésie et de la douceur qui s’en dégage, malgré ton décor futuriste. Un détail, attention aux – cadratins de dialogues (ce ne sont pas les bons ici, et selon les logiciels de texte, ils ne sont pas situés aux mêmes endroits). Bonne chance à toi pour ton projet, et au plaisir d’en découvrir la suite. Belle journée, Sabrina, ancienne ELS.

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